Autrefois élément quasi obligatoire de toutes les équipes du peloton, indispensable pour rêver de victoire d’étape, le pur sprinteur est aujourd’hui une espèce en voie de disparition, encore plus sur le Tour de France. Une absence expliquée par la difficulté grandissante des étapes de plaine et une association avec les leaders que les équipes rejettent de plus en plus.
Qu’il semble loin le temps où sprinteurs et leaders cohabitaient ensemble dans une même équipe sur les routes du Tour de France. Ramener le maillot jaune et le maillot vert à Paris a toujours été un exploit rarissime (10 fois en 109 éditions, dont Jumbo-Visma l’an dernier) dans l’histoire de la Grande Boucle, mais rarement les sprinteurs ont été aussi peu présents aux côtés des leaders qu’ils ne le seront au départ de Bilbao, le 1er juillet prochain.
Au Pays Basque, sauf changement de dernière minute, on ne retrouvera que deux équipes qui joueront sur les deux tableaux : la Jayco-AlUla (Groenewegen et S. Yates) et la Bora-Hansgrohe (S. Bennett et Hindley). Presque une hérésie à la lecture de l’histoire. La Groupama FDJ devait aligner Arnaud Démare et David Gaudu mais a finalement changé ses plans, à quelques semaines du départ.
Des étapes de plaine plus dures et moins nombreuses
Si cela peut presque sembler absurde dans le cyclisme moderne, il fut un temps où amener un sprinteur et un coureur jouant le général étant monnaie courante et, bien souvent, une réussite. Pour les plus anciens, on se rappelle par exemple l’association fructueuse en équipe de France d’André Darrigade (3 étapes en 1957, 4 étapes en 1961) avec Jacques Anquetil, vainqueurs de ces deux éditions, de celle entre Djamolidine Abdoujaparov (maillot vert + 2 succès) et Claudio Chiappucci (3e en 1991) puis Gianni Bugno (1994) ou encore entre Alessandro Petacchi (4 étapes) et Ivan Basso (7e) sur le Tour 2003. Même Mario Cippolini, connu pour avoir son propre train, était venu sur le Tour 1999 (4 succès d’étape) en compagnie de Laurent Dufaux (4e) et Paolo Savoldelli (2e du Giro cette année-là). Les cas existent et sont nombreux, y compris plus près de nous, avec le duo de la Lotto-Belisol en 2012 André Greipel (3 succès) -Jürgen Van den Broeck (4e). Alors pourquoi n’est-ce presque plus jamais le cas ?
Plusieurs éléments permettent d’expliquer cette tendance, qui n’a jamais été aussi nette. A commencer par le nombre d’étapes pour les purs sprinteurs, qui ne cesse de diminuer. Au 21e siècle, les étapes de plaine ont longtemps été autour de la dizaine (jusqu’à 11 en 2006 et 2007) mais, ces dernières années, on en retrouve plus 5 (2022), 6 (2021) ou 7 (2020), au mieux. En moyenne, le nombre de sprints potentiels a baissé (de 9 entre 2001 à 2014 à 7,5 depuis 2015) et, surtout, le profil de ces étapes de plaine s’est considérablement durci. Rares sont les jours sans côtes, que ce soit au départ ou dans le final, compliquant la tâche des sprinteurs. Mais, surtout, gagner le maillot vert ne fait plus rêver les sponsors et les équipes, qui ne rêvent plus que de jaune. Et, pour cela, toutes les formations n’ont plus qu’un mot à la bouche : équipiers.
2013, l’exception du 21e siècle
Depuis les hégémonies successives de la Banesto de Miguel Indurain et celle, rayée du palmarès certes, de l’US Postal de Lance Armstrong, les équipes qui rêvent du maillot jaune, et même plus globalement du podium, ne pensent qu’au général et à entourer le mieux possible leur leader. La diminution du nombre de coureurs par équipes au fil des années (12 en 1961, 9 en 1994, 8 en 2022)
n’a certes pas aidé, mais trouver un sprinteur au sein d’une équipe qui vise le général relève aujourd’hui plus de l’exception que de la norme. Depuis 2015, seules la Sunweb en 2018 (Matthews), la Jumbo-Visma en 2019 (avec Groenewegen), ainsi que la Trek-Segafredo (avec Pedersen) et UAE Team Emirates (avec Kristoff) en 2020 ont réussi à accrocher le podium en ayant un sprinteur dans leurs rangs, soit 5 équipes sur les 21 représentées sur le podium sur les 8 dernières éditions. Au 21e siècle, une seule édition même a vu un podium constitué de trois leaders ayant un sprinteur dans leur rang, à l’occasion du Tour 2013 (Boasson Hagen chez Sky, Rojas chez Movistar et Kristoff chez Katusha). Mais les directeurs sportifs et les managers n’y croient plus. Le cas Van Aert est évidemment une exception, tant le Belge n’est pas vraiment un « sprinteur » (2e de Tirreno derrière Pogacar en 2021, gagne par-delà le Ventoux, fait 3e à Hautacam l’an passé…), et sa présence au sein de la Jumbo-Visma pour le Tour de France est autant protégée que celle de ses leaders. Il pourrait pourtant inspirer certaines équipes, lui qui est devenu l’an dernier le premier coureur à ramener le maillot vert dans l’équipe d’un coureur sur le podium depuis Peter Sagan en 2012 (Nibali, 3e ). Mais les équipes visant le podium préfèrent emmener un maximum d’équipiers pour accompagner leur leader en montagne que de prendre un sprinteur, potentiellement isolé qui plus est. Movistar a ainsi envoyé Gaviria au Giro pour mieux entourer Mas sur le Tour. Jumbo-Visma se prive elle de Kooij pour prendre un maximum de grimpeur avec Vingegaard. Pareil pour UAE Team Emirates avec Ackermann et Pogacar.
Sprinteurs sur le Tour de France : Arnaud Démare en est le plus bel exemple.
Prévu de longue date sur la Grande Boucle, le sprinteur français a finalement été privé du Grand Départ de Bilbao, en juillet. La faute en grande partie à la participation de David Gaudu, 4e en 2022 et candidat affiché au podium en 2023, avec qui l’ambiance n’est pas au beau fixe : "Il sait que je n'en veux pas au Tour, je lui ai déjà dit, avait déclaré le Breton sur Discord en début d’année. Qu'il reste chez lui". Une animosité que Démare a essayé de calmer pour avoir sa chance sur le Tour. On l’a ainsi vu rouler pour son leader sur Paris-Nice, se battre pour les bonifications pour celui-ci… Bref, sortir de son rôle de sprinteur pour endosser celui, hybride, d’équipier-sprinteur. Sans doute le seul qui permette encore à un sprinteur de venir sur le Tour de France dans le même temps qu’un leader. Mais même ça n’a pas suffi.
Le cyclisme moderne ne vit plus que pour le classement général, délaisse les sprinteurs et une course au maillot vert dont personne ou presque ne fait plus un objectif (seul Philipsen le vise ouvertement). Tout jouer pour le général quand on vise la victoire finale est compréhensible. Beaucoup moins quand on ne vise que le podium et que l’on n’aura jamais à contrôler en montagne. Certaines équipes l’ont compris et tentent de jouer sur les deux fronts, histoire de ne pas tout perdre. Malheureusement pour Démare, cela n’a pas été le cas de la Groupama-FDJ, qui préfère tout miser sur un Gaudu.
Sprinteurs dans les équipes du podium des TDF au 21 e siècle :
0 en 2022, 2021, 2017, 2016, 2015, 2011, 2010, 2005
2 en 2020 (Kristoff chez UAE et Pedersen chez Trek), 2014 (Démare chez FDJ et Dumoulin chez AG2R), 2012 (Cavendish chez Sky, Sagan chez Liquigas), 2008 (McEwen chez Lotto, Freire chez Rabobank), 2006 (Galvez chez Caisse d’Epargne, O’Grady chez CSC)1 en 2019 et 2018 (Groenewegen chez Jumbo), 2009 (Farrar chez Garmin), 2007 (McEwen chez Lotto), 2004 (Zabel chez Telekom), 2003 (Zabel chez Telekom), 2002 (Svorada chez Lampre), 2001 (Zabel chez Telekom)
3 en 2013 (Boasson Hagen chez Sky, Rojas chez Movistar et Kristoff chez Katusha)
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