Avec 28 victoires en solitaire en 18 saisons, Jens Voigt n’est autre que, selon notre barème, le meilleur baroudeur du 21e siècle. Une juste récompense pour un coureur au mental d’acier et à la hargne sans égal.
Les clichés sont faits pour être défaits. Dans le vélo, les clichés sont innombrables, les contre-exemples également. A l’affirmation « mieux vaut ne pas être trop grand pour briller en vélo », l’on peut rétorquer : « Jens Voigt ». Car du haut de son mètre 90, l’Allemand s’est bâti un palmarès digne des meilleurs cyclistes de son temps. Fort de sa polyvalence et d’une véritable science tactique, le natif de Grevesmühlen dans le Nord-Est de l’Allemagne a conquis 60 victoires au cours d’une carrière de 18 saisons. Grande gueule du peloton des années 2000, Voigt est passé d’espoir à l’un des équipiers de luxe les plus demandés du circuit, terminant sa carrière au sein du collectif Leopard-Trek (devenue en 2016 Trek-Segafredo) emmené à l’époque par les étoiles Fabian Cancellara et les frères Schleck. Régulièrement à l’avant des courses, son courage et sa débauche d’énergie étaient sans limite, et le trouver au sommet de notre classement est d’une logique implacable.
Pourquoi lui ?
Les arguments qui lui ont permis de décrocher le titre de meilleur baroudeur du siècle sont nombreux. Avec trois victoires d’étapes en solitaire sur les Grands Tours, Voigt a brillé sur le Tour et le Giro, là où les meilleurs baroudeurs s’affrontent pour des succès de prestige. S’il n’est pas le meilleur de notre classement dans cette catégorie, il y a deux domaines où il surclasse absolument tout le monde, et de loin : sur ses 60 victoires en carrière, 28 l’ont été en tant que pur baroudeur, soit près de la moitié, mais surtout 7 de plus que Thomas Voeckler, 2e dans l’exercice. Parmi celles-ci, 3 victoires en GT, donc, mais aussi 12 sur des courses World Tour réputées et relevées comme le Tour de Catalogne, le Tour d’Allemagne, le Tour du Pays-Basque, le Critérium du Dauphiné Libéré ou le Tour de Pologne.
Là-encore, seul Thomas De Gendt, 2e du classement, a atteint 10 victoires en soliste sur le circuit World Tour, quand Voeckler n’en compte que 2 hors GT. Jens Voigt existait tout au long de la saison, symbole de son endurance à toute épreuve. Il s’est également offert deux jours ornés de la tunique jaune de leader du Tour en 2001 et 2005. Ajoutez à cela 5 podiums d’étape sur les Grands Tours et vous obtenez là sans doute le baroudeur le plus complet et victorieux du 21e siècle, malgré son rôle de lieutenant d’une équipe aux stars mondiales qui jouaient les classements généraux.
Un hargneux tout-terrain
A l'instar de nombre de baroudeurs de notre classement comme David Millar, Luis Leon Sanchez ou Sylvain Chavanel, Voigt était à l’aise dans l’effort solitaire. L’Allemand s’est imposé à 9 reprises sur un chrono dans sa carrière, ce qui lui permis de remporter des courses à étapes comme le Criterium International, le Tour de Bavière ou encore le Tour d’Allemagne. Grand et avec de longues jambes, Voigt développait une puissance énorme avec de grands mouvements sur de gros braquets. Ses qualités en contre-la-montre, ainsi que sa persévérance et sa hargne ne sont pas étrangères à son grand palmarès de baroudeur : lancé seul devant, ni ses compagnons d’échappée, ni le peloton ne pouvaient le rattraper.
Mais tel un traditionnel baroudeur, Voigt était à l’aise sur tous les terrains : plaine, montagne, vallon, rien ne le refroidissait pour partir en échappée. Et lorsqu’il ne le faisait pas, il faisait parler toute sa résistance et son dévouement pour soutenir ses leaders. Parfois porteur d’eau, il roulait sans relâche pour son équipe. On se souvient notamment de cette 9e étape du Tour 2010. Lâché par le groupe d’échappés sur les routes montagneuses vers Saint Jean De Maurienne, Voigt attendit son leader, Andy Schleck, et son rival, Alberto Contador, qui avaient semé les autres favoris. Voigt se démena pour tirer les deux cadors, qui réussirent à revenir sur les hommes de tête. Un sacrifice exceptionnel en pleine montagne qui symbolise toute la hargne de l’Allemand, capable de briller sur tous les terrains.
Sa belle échappée : 2013, une dernière en apothéose
Lorsque l’on cumule 28 victoires en baroudeur, dont 13 sur des courses World Tour ou des GT, il est difficile d’isoler une victoire plus belle que les autres. En termes de prestige, ses victoires sur le Tour de France sont peut-être au-dessus, et notamment la mythique 13e étape du Tour 2006. Vainqueur d’une échappée de 5 coureurs, Voigt devance Oscar Pereiro Sio avec 30 minutes d’avance sur un peloton complètement désintéressé. L’Espagnol s’empare du maillot jaune, qu’il remportera après la radiation de Floyd Landis.
Mais nous préférons revenir sur sa victoire sur l’Amgen Tour of California, en 2013. Certainement l’une des plus belles mais sans aucun doute la plus symbolique, puisque c’est la dernière. Et la manière montre également tous les talents de l'ancien du Team CSC. Alors que les échappés sont repris dans les 20 derniers kilomètres, le peloton se réduit dans la dernière montée menant vers Avila Beach. Une côte sévère mais le train imprimé par les BMC ne freine pas Voigt, qui attaque en pleine montée à 6 kilomètres de l’arrivée. Une attaque tranchante dans les pourcentages les plus durs, puis un véritable chrono à fond la caisse. Derrière, le peloton, composé d’une quinzaine de coureurs dont certains des meilleurs sprinteurs de l’époque, fonce mais il est trop tard. Voigt s’impose en solitaire, 6 secondes avant que Tyler Farrar, Thor Hushovd, Peter Sagan et Michael Matthews ne franchissent la ligne. Juste assez pour lever les bras et pour savourer cette ultime victoire, un an avant une retraite bien méritée.
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