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Photo du rédacteurRomain Bougourd

Série géopolitique : Episode 2, le Tour dans la construction européenne (1962-1990)

Après avoir concentré les sentiments nationaux dans ce qui était un véritable Tour de la France au temps des nations, le Tour a accompagné la construction européenne pour en devenir un véritable symbole.

« Instrument sportif, pacifique et sympathique, la bicyclette est toujours le plus sûr moyen de transport en temps de trouble. Souhaitons donc que le Tour de France lui fasse assez de propagande pour qu’elle reste la dernière et unique des armes utiles. » C’est un vœu pieu qu’appelait en 1949 le réalisateur et acteur Jacques Tati, auteur du chef d’œuvre Mon oncle et véritable défenseur de la bicyclette. Au sortir de deux guerres mondiales dévastatrices, la peur d’un nouvel épisode belliqueux régnait et la recherche de la paix était une priorité. La reprise du Tour, en 1947, représentait donc une ravissante nouvelle pour les familles meurtries et les passionnés de vélo. Et même si les tensions de l’après-guerre se faisaient ressentir au sein du peloton (toujours pas d’Allemand en 1949, et ce jusqu’en 1955), la Grande Boucle s’apprêtait à entrer dans une nouvelle dimension géopolitique. Auparavant catalyseur des sentiments nationaux, le Tour devient un instrument pacificateur, une passerelle entre pays alliés, une sorte de main tendue vers un ennemi avec qui l’on souhaite se rabibocher.


Même si la Guerre froide fait rage et les tensions montent entre les blocs Est et Ouest, un rapprochement s’officialise entre les pays d’Europe de l’Ouest, dans ce que l’on appelle, dès 1951, la construction européenne. Cette année-là, sous l’impulsion de la France, la CECA (Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier) est créée, pour unir les productions de charbon et d’acier de plusieurs pays européens et ressouder les liens entre ces Etats. L’Italie, la Belgique, le Luxembourg, les Pays-Bas mais aussi la toute jeune Allemagne de l’Ouest, fondée deux ans plus tôt, font partie de l’aventure. Une dynamique que le Tour se doit d’accompagner. « Servir d’ambassadeur auprès des autres peuples européens afin de ressouder des liens préalablement éclatés après la Seconde Guerre mondiale. Là où une politique de coopération européenne s’ouvrait, le Tour de France devait appuyer ces idées par un parcours plus décalé vers l’Est, vers ses nouveaux partenaires, tels la Belgique, le Luxembourg, l’Italie et la Hollande », raconte l’historienne Sandrine Viollet dans sa thèse Le temps des masses : le Tour de France cycliste, 1903-2003, soutenue en 2007.


« Servir d’ambassadeur auprès des autres peuples européens »


Ainsi, le Tour s’offre un premier Grand Départ de l’étranger en 1954 depuis Amsterdam, avant Bruxelles en 1958. Des départs afin d’honorer les alliances nouées et de célébrer, de communier ensemble autour d’un événement sportif rassembleur. Car l’Europe, au-delà des alliances économiques, doit se construire autour d’une culture commune. En 2019, le directeur du Tour Christian Prudhomme ne nous disait pas autre chose à propos du rôle du cyclisme dans l’histoire. « Le cyclisme est plus fort que toutes les idées nationalistes. Le cyclisme, c’est de la découverte. On apprend. L’histoire, la géographie. On apprend à connaître les régions, les villes et les pays. Le cyclisme, c’est de la culture. »


Cette déclaration de cet Alsacien d’adoption prend tout son sens au regard des relations franco-allemandes et du rôle du Tour, particulièrement dans les années 1960. Ennemis pendant près d’un siècle, les deux pays se retrouvent alliés et partenaires, via la CECA donc, puis la CEE, mais encore plus en janvier 1963 avec la signature du Traité de l’Elysée. Ce dernier fixe les objectifs d’une coopération accrue dans les domaines politiques, de la défense ou encore de l’éducation, avec la fondation de l’office franco-allemand de la jeunesse ou des lycées franco-allemand. Un traité historique, que le Tour se devait de célébrer : après un passage par Fribourg en 1964, Cologne accueille l’année suivante le départ du Tour. Un véritable symbole, 20 ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale.


En route vers la mondialisation


Le Tour continue les années suivantes à célébrer les alliés et partenaires économiques de la France : Scheveningen (Pays-Bas) en 1973, Charleroi (Belgique) en 1975, Leyde (Pays-Bas) en 1978, Francfort en 1980… Si le chauvinisme sportif perdure, la Grande Boucle n’est plus seulement le Tour de la France, ni même de la Francophonie. Il devient peu à peu le Tour de l’Europe des 6 pays fondateurs. Le Tour 1992 en est la preuve : pour la première fois de l’histoire (mais aussi la seule), le peloton traverse 6 pays pour rallier Paris, l’année même de la signature du traité de Maastricht. L’Espagne, la Belgique, les Pays-Bas, l’Allemagne, le Luxembourg et l’Italie profitent du spectacle dans ce qui restera le plus européen des Tours de France. Mais à ce moment-là, l’épreuve avait déjà fait la bascule dans une autre dimension. En s’élançant de Berlin-Ouest en 1987, le Tour s’immisçait dans le paysage de la Guerre froide, en organisant un pont aérien pour contourner la RDA et le bloc Est. Deux ans avant la chute du Mur de Berlin, le Tour s’était déjà globalisé.


Retrouvez le premier épisode de l'histoire géopolitique du Tour de France (1903-1961) dans notre magazine VéloFuté, à télécharger en cliquant sur ce lien.

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