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Photo du rédacteurRomain Bougourd

Redistribution des droits TV dans le cyclisme : analyse et simulation

Face à la fragilité de son modèle économique, le cyclisme doit trouver des solutions pour diversifier ses sources de revenus et stabiliser son écosystème. Une des pistes évoquées par l’UCI et les dirigeants d’équipes concernent la redistribution des droits TV. A quoi cela pourrait-il ressembler ? Et avec quel ordre de grandeur ? Voici notre analyse et notre simulation.

Redistribution des droits TV dans le cyclisme : analyse et simulation

Le modèle économique du cyclisme est fragile, et jamais cette affirmation n’a semblé aussi juste que ces dernières semaines. Acquisition avortée de Soudal-QuickStep par Jumbo-Visma, création d’une Super League World Tour, arrêt de plusieurs Pro Teams (Bolton Equities en tête), réforme du calendrier pour optimiser les droits télévisuels : les feuilletons s’enchaînent et renforcent l’idée que, sans un profond changement de modèle, le cyclisme professionnel est en danger. Face à la hausse des salaires et des coûts inhérents à leur fonctionnement, les équipes ont de plus en plus de mal à accroître leurs revenus, issus à plus de 90% des sponsors. Si le sponsoring reste rentable pour les entreprises, il risque de ne plus l’être si les montants investis continuent de croitre à cette vitesse.


« Je pense que nous devons revoir notre vision du cyclisme pour rester compétitif par rapport à d’autres sports. C’est pour cela que tous les acteurs doivent s’unir pour bâtir un nouvel avenir. C’est pour cela qu’on discute avec David Lappartient, et nous avançons bien », nous avait ainsi confié Richard Plugge, patron de Jumbo-Visma, fin octobre.


Limiter la dépendance aux sponsors


Le problème, c’est que les options de diversification des revenus ne sont pas légion. Une seule apparaît d’ailleurs viable, et c’est sur celle-ci que planchent l’UCI et Richard Plugge : les droits télévisuels. Ces droits appartiennent actuellement aux organisateurs des courses et représentent une partie importante de leurs Business Models (cette part varie énormément selon les courses, mais peuvent atteindre 50% des revenus de l'organisateur, comme pour le Tour de France, d’après certaines sources). Les organisateurs dépendent en partie de cette source de revenus et les équipes ne perçoivent en aucun cas de somme issue de ces droits. Elles se contentent de primes de courses liées aux résultats sportifs et de frais versés en compensation des coûts de déplacement (hôtels, avions, trains, repas). Des montants insuffisants pour pérenniser le modèle des équipes, surtout les moins performantes.


A partir de ce constat, une question : une redistribution des revenus perçus par les organisateurs, notamment des droits TV, aux équipes est-elle possible ? Pour y répondre, nous avons mené une analyse en se basant sur les organisateurs des épreuves World Tour. Nous les avons identifiés, avons déterminé leurs parts de marché et recherché leurs données économiques et financières pour déterminer si une redistribution des revenus, notamment des droits TV, est possible, viable (cela ne doit pas mettre en péril les organisateurs) et suffisante pour assurer la pérennité des équipes.


ASO, RCS et Flanders Classics comme leaders du marché


Voici donc la démarche : 35 courses constituent le calendrier World Tour. Cela représente, en tout, 164 jours de courses organisés par 16 acteurs différents (voir les tableaux ci-dessous.). Si on peut identifier un trio qui rassemble 68% des jours de course (ASO et sa filiale Unipublic, RCS et Flanders Classics), de nombreuses courses sont organisées par des structures soit modestes (Plouay Cyclisme Organisation, Koninklijke Veloclub Panne Sportief), soit des organisations plus polyvalentes et diversifiées, qui organisent de nombreux événements et dont l’épreuve WT n’est qu’une épreuve parmi tant d’autres (Golazo Sports, Wanda Sports Corporation). Le paysage concurrentiel est donc très hétérogène en termes de types d’acteurs.

Liste des organisateurs des courses World Tour, par épreuve
Part de marché des organisateurs de courses World Tour, par nombre de jours de course

A partir de là, il nous fallait déterminer et trouver les données financières de chacune de ces organisations, et notamment trois données : le chiffre d’affaires, la part de ce chiffre d’affaires issue de l’épreuve organisée en World Tour, et le revenu net. Cette étape s’est avérée très complexe, de part le caractère confidentiel voire inexistant de ces informations, et par la diversité des acteurs, comme expliqué plus haut (par exemple, Wanda Sports Corporation est la filiale événementielle d’un groupe chinois qui génère plus d’un milliard d’euros de chiffre d’affaires). Grâce à plusieurs sources publiques et semi-publiques, ainsi que de certaines estimations, nous sommes parvenus à obtenir les données pour 7 acteurs, qui représentent 76% du marché en termes de jours de course WT. Etant donné que les droits TV sont proportionnels à l’audience de chaque événement et considérant l’écart énorme entre le Tour de France et les autres courses, on peut considérer que ces 7 organisateurs représentent bien plus que 75% du marché en termes de chiffre d’affaires. Mais nous allons poursuivre notre analyse sur ces 7 acteurs seulement.

Données financières des principaux organisateurs de courses World Tour

D’après nos recherches et estimations, ces 7 organisateurs génèrent un peu plus de 300 millions d’euros de chiffre d’affaires grâce aux épreuves World Tour. Surtout, le revenu net, à savoir la différence entre les produits et les charges, soit le bénéfice d’une entreprise, est de 90 millions d’euros. C’est à partir de ce chiffre que nous allons poursuivre notre analyse. Une première information importante est de noter que les organisateurs analysés génèrent des revenus, avec un taux plutôt bon. Ces bénéfices sont soit réinvestis, soit reversés aux actionnaires ou aux salariés. Dans notre analyse, ces bénéfices seraient donc en partie redistribués aux équipes. Prenons l’hypothèse d’un reversement de 50% de ces revenus, soit environ 45 M€ (ce choix est certainement utopique, car on doute fortement qu’une quelconque entreprise accepte de perdre la moitié de ses bénéfices).


Ces 45 M€ seraient ensuite reversés aux 18 équipes du peloton World Tour. Là, nous pouvons imaginer deux scénarios : le premier avec une division égale de ce montant pour chaque équipe ; le second avec une répartition proportionnelle aux points UCI marqués par les équipes. Dans le premier cas, chaque équipe recevrait 2,5 M€. Dans le second, si on se base sur les points marqués en 2023, UAE recevrait 12% du montant, soit 5,3 M€, quand Astana recevrait 1,2 M€ (voir détails ci-dessous).

Aperçu des droits TV potentiellement perçus par les équipes World Tour et la part dans leur budget en 2023

Concrètement, les sommes reversées correspondraient à 8 à 20% des budgets des équipes. Des sommes non négligeables, qui réduiraient la dépendance aux sponsors. Mais ces montants dépendent d’un reversement à 50% des bénéfices des organisateurs, ce qui semble peu réaliste. L'option d'un reversement des droits TV actuels semble donc peu viable. La création d’une Super League, couplée à la réforme du calendrier WT, devrait permettre de faire croître les droits TV et les revenus des acteurs du cyclisme. Ainsi, une redistribution de ces nouveaux revenus est envisageable et fait sens. En conclusion, si les résultats de notre analyse sont simplifiés et ont leurs limites, ils montrent que les options étudiées par l’UCI et Richard Plugge, avec la création d'une Super League, sont certainement les plus viables pour pérenniser le cyclisme professionnel.

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