Le cyclo-cross est-il une parfaite préparation pour le cyclisme sur route?

On le voit souvent maintenant, les coureurs de cyclo-cross sont extrêmement performants sur route. Pourquoi ? Quelles sont les qualités que la discipline développe ? Est-ce une préparation idéale pour la saison sur route ? Y a t-il malgré tout des inconvénients d'avoir un hiver aussi chargé ? On tente d'y répondre en compagnie de Steve Chainel, consultant chez Eurosport et spécialiste du cyclo-cross.

Steve Chainel a été coureur pro sur route ainsi qu'en cyclo-cross et connaît les bienfaits que peut apporter cette discipline sur la route. A travers nos échanges, il nous apporte donc son regard de spécialiste sur ce que la discipline peut apporter à des Van der Poel ou Van Aert.

Quelles sont les qualités que développent le cyclo-cross ?

C'est sûrement l'argument le plus évident mais le cyclo-cross permet de développer des qualités techniques sur un vélo, la preuve avec Van der Poel, comme en témoigne Steve Chainel : "La pratique du cross va forcément t'apporter en agilité et en technique sur le vélo et on se rend compte aujourd'hui que ce sont des compétences primordiales pour un coureur pro au moment de se placer sur les Grands Tours ou sur les classiques lors des moments clés."

Curieusement, et ce malgré son adresse en cyclo, Wout Van Aert n'a pas le même aisance que le Néerlandais sur route. « Van Aert c'est l'exception et je n'ai pas vraiment de réponse à apporter. C'est peut-être la loi des séries car en cyclo ils chutent très peu mais beaucoup plus sur route, et ce n'est pas forcément le matériel puisqu'ils sont chez Victoria, comme Alpecin pour les pneus. Van Aert est peut-être un peu plus bourrin". C'est vrai que sur Roubaix, on voyait le Belge sur le haut du pavé tandis que Van der Poel roulait sur le côté. Et c'est lui qui a crevé...

Mais alors concrètement, qu'est ce qui permet de travailler la technique dans la pratique du cyclo-cross ? "Le départ rapide déjà car ça frotte énormément et puis il y a les prises de trajectoire, le regard loin, sur le virage d'après". Des aptitudes et réflexes qu'on retrouve finalement aussi chez un pilote de sport auto. On retrouve beaucoup de coureurs qui regrettent de ne pas avoir fait de cyclo-cross pour développer leurs aptitudes. Peut-être que cela aurait fait du bien à un Thibaut Pinot par exemple. "Demande à David Moncoutié ce qu'il lui a manqué sur la route, il te dira évidemment le cyclo-cross », ajoute Chainel. C'est vrai que le Français n'était pas réputé pour être le coureur le plus adroit sur un vélo et n'aimait pas du tout frotter. Sans doute que confronter à des départs arrêté en cyclo-cross l'aurait aidé à palier ce défaut.

Le cyclo-cross : une préparation idéale pour être en forme en début de saison

Si la technique est un atout précieux, ce n'est pas le seul point positif que cela peut engendrer. En termes de préparation, cela permet de faire très vite de l'intensité, ce qui permet d'arriver très fort dès le début de saison. C'est sans doute pour cela qu'on ne retrouve jamais un Van der Poel plus fort qu'en mars-avril et qu'il est prêt dès sa première course sur route, ou au pire la 2e.

De plus, c'est aussi un atout énorme durant la course et sur la capacité du coureur à répéter ou maintenir les efforts dans la durée : "Quand tu regardes une course sur route, sur les 5h ou plus de course, ils sont une heure en zone rouge, la zone 7. En gros c'est comme une voiture, elle tourne à 2000 ou 3000 tours et elle commence à tirer au dessus de 6000. Et bien sur route c'est pareil. La plupart des coureurs peut tenir 45-50 min en zone rouge tandis que les meilleurs arrivent à pousser sur 1h. Et c'est là que cela fait principalement la différence." Evidemment, inutile de vous dire qu'une course cyclo cross dure 1h, à bloc. Le cyclo-cross prépare donc naturellement les coureurs qui le pratiquent à rouler à haute intensité pendant ce laps de temps. Un temps qui fera toute la différence sur le résultat final.

Alors, certains ont-ils intérêt à tenter l'aventure ? "Remco justement, ce qu'il lui manque dans les cols c'est d'être à 6000 tours sur 1H de montée. Aujourd'hui il arrive à 5800 pour imager. Le jour où il arrivera à faire cela pendant 1h, peut être qu'il gagnera le Tour de France". Si Steve le dit ! Remco sait donc ce qu'il lui reste à faire : une campagne de cyclo-cross pour progresser encore un peu plus vers son grand objectif de carrière.

Mais alors, si le cyclo-cross est si efficace, pourquoi tous les coureurs n'y vont pas ?

Les inconvénients du cyclo-cross

Si les bienfaits sont évidents sur les performances, il y a aussi des inconvénients à cette pratique. Et elles en sont pas que physiques, mais aussi psychologiques :"Il y a beaucoup de fatigue mentale. Il y a une logistique énorme pour 1h de course. En plus, tu es souvent gelé à l'arrivée et ça joue sur le mental obligatoirement. Je dis toujours qu'un coureur a plusieurs cartouches dans une saisons. Un mec comme Van der Poel, il en crame déjà 15 l'hiver donc quand il arrive à Roubaix, même si il n'a que 8 jours de courses sur route, il en a déjà plein le cul parce qu'il en utilise plusieurs durant l'hiver". Effectivement, dans ce cas, cela nécessite un repos forcé, qui est incompatible avec des ambitions sur le Giro par exemple. Où alors il faut faire une croix sur le début de saison, à l'image de Thibau Nys, qui a repris en mai en 2024.

Pour contrer cette charge mentale, les coureurs utilisent donc différentes techniques, afin d'avoir un levier positif. Par exemple, "les Van Aert ou Van der Poel, pour contrer cela, essaient de créer l'envie et partent en stage plutôt que de participer aux cyclos, afin d'être vraiment motivés à l'idée de retrouver la boue en décembre". Créer un besoin ou un manque pour que la pratique du cyclo-cross soit avant tout un plaisir.

De plus, forcément, lorsque l'on débute sa saison en novembre, il est difficile de tenir jusqu'à octobre de l'année suivante, qui correspond à la fin de saison sur route. On voit d'ailleurs que Van der Poel va rarement plus loin que septembre. Et c'est logique. Le mental et le physique ne se reposent que très peu durant la saison donc on tire sur la corde raide en fin d'année. Si un jour, le Néerlandais souhaite gagner le Tour de Lombardie, il faudra sans doute qu'il aborde la saison différemment.

Au delà de cela, le cyclo-cross développe des caractériques qui correspondent surtout aux Flandriens et leur course de mouvements, comme nous l'explique Steve Chainel : "Le cyclo-cross, sur un tour, c'est 40 relances donc 400 sur une course. C'est donc un effort qu'on retrouve sur les classiques où tu as besoin de plusieurs cartouches. A l'inverse, un grimpeur aujourd'hui, on lui demande surtout de monter à son rythme, et de placer deux ou trois accélarations maximum. C'est pour cela que les VTTistes sont souvent de bons grimpeurs, car c'est un peu pareil dans l'esprit. Grosse cadence continue et des accélérations ciblées". Il est vrai que les Péraud ou Evans, venant du VTT, sont montés sur le podium du Tour. On attend donc la même chose de Tom Pidcock, lorsqu'il mettra enfin la route comme une priorité absolue.

Enfin, il y a un levier financier non négligeable qui est un frein pour les équipes, lorsqu'il s'agit d'engager un de leur coureur dans une saison de cyclo. C'est à la fois un coup direct avec l'achat du matériel et autres qui representent environ 500 000 euros mais c'est aussi une charge indirecte puisqu'il ratera forcément, à un moment, une partie de la saison sur route. "Le cross, ça coûte cher et c'est presque deux mois d'absence. Forcément, en commençant la compétition en novembre, il va falloir que tu te reposes à un moment. Prenons l'exemple de Venturini. Il va être contraint de se reposer en mai-juin et à ce moment, y a les 4 jours de Dunkerque ou autres qui sont importants pour l'équipe et le sponsor".

Finalement, le cyclo peut être un game changer mais ne conviendra pas à tout le monde. Les contraintes existent et peuvent pénaliser certains coureurs par rapport à leur ambition. Il faut donc que cela soit un choix étudié en concertation avec l'équipe pour être adapté avec les objectifs du coureur sur la route.