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Photo du rédacteurRomain Bougourd

Marc Madiot (GFDJ) : « On a un déficit d’éducation sportive en France »

Après une saison riche en émotions, avec la retraite de Thibaut Pinot, Marc Madiot s’est exprimé en exclusivité pour Vélofuté. Sans filtre, il évoque son ambition pour son équipe, qu’il a créée en 1997, mais donne aussi sa vision sur le sport français et l’évolution du cyclisme. Entretien.

Cette saison 2023 est terminée, mais c’est aussi une véritable fin de cycle, avec la retraite de Thibaut Pinot et le départ d’Arnaud Démare, qui étaient les têtes de gondole de l’équipe pendant plus de 10 ans. Que retenez-vous de ce cycle ?

Je retiens que ces coureurs nous ont permis de revenir au premier plan. Avant eux, on était dans le ventre mou, voire en queue de peloton. Grâce et avec eux, on a réussi à gravir les marches une par une pour arriver à un haut niveau, puisqu’aujourd’hui on est quand même 7e équipe mondiale, mine de rien.


Depuis 2020, vous êtes solidement installé dans le top 10 UCI. Comment voyez-vous la suite, visez-vous plus haut ?

Aller plus haut, ça ne va pas être simple quand on voit les équipes qui sont devant. Il y a un aspect économique très important, avec des différences assez importantes. Quand on regarde le classement par équipes, on voit que les premières sont celles qui ont les plus gros budgets et qui n’ont pas les mêmes systèmes de couverture sociale que chez nous. A partir de là, ça va être compliqué de les concurrencer, il faut être réaliste et objectif.


Avez-vous des idées pour rééquilibrer les choses, comme un budget cap ?

Ça ne changerait pas tout, il ne faut pas rêver. On aura toujours ce sujet des charges sociales. En France, on est tous sous contrat de travail, avec des charges importantes, alors que certains concurrents travaillent avec des contrats d’indépendants. On fait face à une concurrence internationale qui n’a pas les mêmes règles que nous.


Quelle est votre approche par rapport à ces différences ?

Moi, je fais tout simplement avec ce que j’ai. On fait le mieux possible, et on ne se plaint pas.


Vous sentez-vous bloqués dans votre progression, en raison de l’inflation notamment ?

Oui, évidemment. Nos budgets ne sont pas extensibles et les coûts inhérents à notre fonctionnement d’équipe sont en pleine explosion. Donc c’est un frein.


Avec la création de l’équipe Continentale en 2019, vous avez un programme très structuré autour des jeunes. Est-ce aussi pour vous la seule option pour rivaliser avec les meilleures équipes ?

Effectivement, nous n’avons pas 50 000 solutions pour ça. On a commencé à se tourner vers les jeunes bien avant certaines équipes. On avait, et je pense qu’on a encore un petit coup d’avance, car les autres ont un peu repris notre modèle. Mais la concurrence est rude donc il faut que l’on reste attractif.


Et quels sont vos arguments pour rester attractif ?

Je ne vais pas tout vous dévoiler pour que les voisins viennent copier ce que l’on fait. Je garde mes arguments de vente pour moi.


Groupama et FDJ sont actionnaires en plus d’être sponsors de votre structure. A quel point cela peut avoir une influence sur les décisions sportives de votre équipe ?

Que les sponsors soient actionnaires ou pas, ça ne change rien. D’abord, il faut partir d’un premier principe : que ce soit Groupama, FDJ ou d’autres, ils ne sont pas obligés d’avoir une équipe cycliste, et ce n’est pas leur métier. C’est pour moi la règle de base. A partir de là, on doit être en adéquation avec les moyens qui nous sont donnés et les souhaits potentiels de nos sponsors. Mais en termes de fonctionnement sportif, on a une liberté totale.


Le Tour de France reste le graal pour une équipe et même les sponsors. Rêvez-vous de gagner un jour le Tour avec GFDJ ?

Je ne me pose pas cette question-là. Aujourd’hui, je m’inquiète d’avoir les moyens suffisants pour rivaliser avec les plus grands. Ensuite, il faut avoir la chance de croiser le coureur qui nous permettrait de suivre cette quête. Pour l’instant, je suis plutôt dans la pérennité, la volonté de développer et de faire grandir cette équipe. Plus on grandit, plus on a de chance de remporter des graals comme le Tour de France. Mais vous dire ‘je rêve de gagner le Tour’, ce sont des mots mais ce n’est pas la réalité du terrain.


Pourquoi aucun Français n’a remporté le Tour de de France depuis 1985 ? Pensez-vous que ce coureur existe ?

La raison c’est tout simplement que ce coureur n’existe pas aujourd’hui dans nos effectifs. Il y a quelques dizaines d’années, les engagés du Tour étaient principalement de la « vieille Europe ». Mais depuis le cyclisme s’est mondialisé, le Tour est en plein essor, donc la proportion de coureurs français est moindre. En plus, il y a de moins en moins de gamins qui font des courses de vélo. Le réservoir national diminue, donc on a moins de chances d’avoir la perle rare. On a aussi, en France, un déficit général d’éducation sportive, qui ne se répercute pas que sur le vélo. On le voit ailleurs, il suffit de regarder les derniers championnats du monde d’athlétisme pour voir qu’on est complètement à la ramasse. On a un déficit de détection et de formation. La base de la formation reste l’école, et le système scolaire français n’est pas du tout tourné vers le développement sportif. J’ai un gamin qui est encore à l’école, plus il grandit moins il a d’heure de sport.


Vous avez des solutions pour résoudre ces problèmes et changer ce modèle ?

Oui, bien sûr, mais tout le monde s’en fout donc ça ne sert à rien d’en parler.


Parce que la politique n’écoute pas ?

Bien sûr ! Je vais vous donner un seul exemple. J’ai une licence à la FFC depuis 40 ou 45 ans. En principe, avoir une licence devrait me donner le droit de voter au sein de ma fédération. Mais je n’ai jamais eu un bulletin de vote ou été en situation de voter aux élections pour la présidence de la fédération. C’est vrai dans tous les sports. Le monde du sport français et ses fondamentaux n’ont pas bougé depuis l’époque de De Gaulle. C’est peu dire qu’aujourd’hui nous ne sommes pas opérationnels. C’est une histoire de structure.


Vous avez des exemples d’autres pays où ce fonctionnement est en place ?

Il y a quand même des pays bien plus petits que nous avec de meilleurs résultats. Je ne parle pas que de la Slovénie, mais même en Belgique ou aux Pays-Bas, les gamins ont accès au sport bien mieux que chez nous.


Vous avez des regrets ?

Non, je ne regrette plus rien.


On vous sent résigné.

Non, je suis réaliste. Je fais ce que j’ai à faire chez moi, j’essaye de faire du mieux possible. Pour le reste, ça ne sert à rien de s’agiter les petits bras et de brasser de l’air pour rien. Je préfère ne plus perdre mon énergie là-dedans.


Vous avez dans votre effectif plusieurs grands talents. Lenny Martinez notamment, 20 ans, auteur d’une très belle Vuelta et vainqueur du CIC Mont Ventoux, qu’espérez-vous de lui à l’avenir ?

Pour lui, comme pour les autres, en faire le meilleur coureur possible. Je ne veux pas parler de potentiel, ça ne sert à rien.


A vous entendre, on a l’impression que vous avez tellement été confronté, avec vos coureurs, à la pression médiatique par rapport au Tour de France, que vous tentez maintenant de les protéger de cette pression.

Non, ce n’est pas une question de pression médiatique. Ça ne sert à rien de dire que je veux gagner le Tour avec Martinez. Je serais le dernier des cons d’annoncer ça. Moi je veux que Martinez s’accomplisse, progresse, se développe, et puis on verra où ça nous place sur certaines épreuves, une fois le moment venu. Mais aujourd’hui je ne me fixe pas ce type d’objectifs avec lui, surtout par rapport au Tour. Ce ne serait pas lui rendre service.


Pensez-vous d’ailleurs que la médiatisation autour de Pinot puis de Gaudu par rapport au Tour les dessert ?

Je ne sais pas si ça les dessert, mais c’est brasser de l’air pour pas grand-chose. Ce qui est important, c’est de travailler, de faire fonctionner l’équipe, la rendre la meilleure possible et avoir les moyens les plus adaptés à nos besoins, c’est tout.


Où voyez-vous votre équipe dans 5 ans ?

J’espère, je rêve, désire la voir la plus haut possible, le plus proche possible des toutes meilleures, si ce n’est devant certaines des meilleures.


Si vous deviez définir GFDJ en tant qu’équipe, quels mots, valeurs, leitmotiv utiliseriez-vous ?

Je dirais qu’on est une vieille équipe tournée vers l’avenir. Vieille, puisqu’on va commencer notre 28e saison, mais avec un fonctionnement moderne et tourné vers l’avenir. Vous savez, j’ai parfois des coureurs étrangers qui arrivent de supposées grandes structures et qui sont très surpris en arrivant chez nous.

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