Directeur général de l’Association Internationale des Organisateurs de Courses Cyclistes (AIOCC), l’Espagnol Kiko Garcia a pris du temps pour parler des organisateurs, souvent ciblés mais peu entendus dans les médias. Du modèle économique à la sécurité, en passant par les contrôles antidopage, celui qui est membre d’Unipublic, organisateur de la Vuelta, n’a éludé aucune question.
Les temps sont durs pour les organisateurs de course. Entre les critiques constantes du public sur les tracés et certaines arrivées, mais aussi le poids croissant des coureurs, via leur syndicat CPA, les organisateurs sont sous pression. C’est dans ce contexte que nous avons interrogé Kiko Garcia, directeur général de l’AIOCC, qui rassemble plus de 153 membres, dont les trois organisateurs des Grands Tours et de 34 des 36 courses WT. S’il n’a pas pu s’exprimer sur One Cycling, le projet de super ligue cycliste, pour faute d’information, Kiko Garcia, ancien coureur de la ONCE, n’a évité aucun sujet.
Depuis plusieurs années, les équipes ont des revendications, que ce soit pour les prize money ou les frais de déplacement. Que répondez-vous à ces revendications ?
Ce sont des débats naturels. C’est normal que les équipes cherchent à augmenter leurs revenus. Mais du côté des organisateurs, c’est très difficile financièrement. L’an passé, nous avons dû augmenter les prize money de 11,82%. Une hausse en une année pour les grandes courses, en deux ans pour les autres. En plus, on subit une augmentation des contrôles antidopage, qui nous coûtent aussi. Si on ajoute l’inflation, ça fait beaucoup. Les prix des chambres d’hôtel ont augmenté de 30 à 40% en 4 ans. Donc c’est compliqué, surtout pour les plus petits organisateurs.
C’est à vous de régler les hébergements pour les équipes ?
Bien sûr, pour les coureurs et l’encadrement. Si c’est une course d’un jour, on paye la nuit de la veille de la course, mais pour les courses par étapes, ce sont toutes les nuits. Sur un Grand Tour, on paye l’hébergement pour 23-24 personnes par nuit.
Quels sont les autres frais ?
Par exemple, en Espagne, on doit payer également la police. Elle fait un travail exceptionnel, mais c’est une grosse somme d’argent. Nous avons beaucoup d’autres frais dont les gens n’ont pas conscience.
"Les organisateurs payent beaucoup plus que les coureurs pour ces contrôles antidopage. Mais en théorie, s’il y a un problème de dopage, l’organisateur n’y est pour rien."
On sent aussi que les difficultés d’organisation augmentent : l’aménagement urbain, les risques de manifestation qui peuvent annuler des courses comme à Bessèges, les risques climatiques. Comment voyez-vous l’avenir ?
Notre terrain de jeu, ce sont les routes, et elles ne nous appartiennent pas, comme le répète à l’envi Christian Prudhomme. Ça devient de plus en plus compliqué en termes de sécurité et de logistique notamment. Mais le cyclisme a beaucoup grandi, avec des audiences croissantes au niveau mondial et un soutien politique pour l’utilisation du vélo. Cela génère des revenus positifs qui nous semblent intéressants pour le futur.
Comment fonctionne le modèle économique des organisateurs ? Les droits télévisuels sont-ils une réelle source de revenus pour vous ?
Sur ce point, cela dépend vraiment des courses. Pour le Tour de France, ce sont très certainement des revenus importants, mais pour les plus petites courses, ce sont des revenus marginaux. Il y a des organisations énormes, mais la majorité sont des petites organisations. Elles font un travail exceptionnel, majoritairement avec des bénévoles, et sont capables de maintenir une course professionnelle. Il faut grandement respecter ces courses plus modestes, mais aussi les aider.
Comment faites-vous ?
Par exemple, en Espagne, nous avons commencé une collaboration entre Unipublic (organisateur de la Vuelta) et tous les organisateurs de courses professionnelles pour l’utilisation des outils de sécurité, comme les housses ou le signal sonore. Tout ce que l’on utilise sur la Vuelta, on le met à disposition des autres courses. C’est un geste qui a pour but, à la fois, d’uniformiser ces outils, pour que les coureurs les reconnaissent plus facilement et d’améliorer la sécurité, et également de réduire les coûts.
Ensuite du côté de l’AIOCC, pour compenser les hausses des prize money et des contrôles antidopage, on a aidé les organisateurs plus modestes avec une certaine somme.
Ce sont aux organisateurs de payer pour les contrôles antidopage ?
Oui, on finance une grande partie. D’un côté, on paye et loge tous les commissaires et responsables qui effectuent ces contrôles. Ensuite, selon la catégorie de la course, on paye un certain montant à l’ITA (International Testing Agency). Ce sont des sommes importantes et c’est un point de discorde : les organisateurs payent beaucoup plus que les coureurs pour ces contrôles antidopage. Mais en théorie, s’il y a un problème de dopage, l’organisateur n’y est pour rien.
Au sujet de la sécurité, on observe tout au long de l’année un nombre important d’arrivées jugées dangereuses, que ce soit en descente, ou à la sortie d’un virage ou même juste après un rond-point. Comment abordez-vous cette problématique-là ? Que faites-vous pour les éviter ?
On avance bien, on a mis en place un programme qui réunit toutes les familles de course. On regarde si on peut améliorer les mesures de protection, pour mieux prévoir les risques etc. Et on se rend compte, aussi, qu’il y a un sujet autour du comportement des acteurs et de leurs habitudes. Le cyclisme est sport ancien, avec plus de cent ans d’existence, et certaines habitudes sont très anciennes, sans qu’elles soient remises en question. Et on pense qu’en modifiant légèrement certains comportements, on peut grandement améliorer la sécurité. On le voit par exemple avec des coureurs qui prennent une voie cyclable sur le côté pour remonter le peloton. Sur le Tour des Flandres, ça a provoqué une énorme chute. Donc on a plusieurs projets qu’on va mettre en place cette année, pour essayer de changer les comportements et réduire les incidents. Il y a beaucoup à faire.
Pour revenir aux organisateurs et les arrivées dangereuses, je suis d’accord, cette critique est constructive. Il ne faut simplement pas oublier la contrainte d’organisation : on arrive là où les villes nous le demandent. On ne va pas où l’on veut. Les grandes villes ne veulent pas que l’on arrive dans une zone industrielle, mais dans un centre spécifique. C’est le pouvoir du cyclisme, de montrer la beauté d’une ville, d’un paysage et d’une région. Mais on ne peut pas arriver n’importe où. C’est là que l’on doit travailler avec les villes et les politiciens pour leur expliquer que c’est difficile d’arriver en centre-ville en raison de l’aménagement urbain.
C’est une partie du travail, en plus de celui auprès des coureurs pour faire en sorte de diminuer la tension à l’abord du sprint et travailler sur la sécurité en course. On pense aussi aux vêtements plus solides, ou des casques plus renforcés, personne ne pense à ça, mais il y a matière à travailler.
On observe de plus en plus de courses sous la forme d’un circuit. On pense aux Mondiaux mais aussi à la Flèche Wallonne qui va faire passer les coureurs 6 fois au Mur de Huy. Est-ce l’avenir du cyclisme pour faciliter les choses ?
Ce peut être une solution, mais pas pour toutes les courses. Il y a effectivement un aspect logistique plus facile à gérer pour les organisateurs, pour les coureurs, c’est aussi une bonne chose car ils peuvent repérer le parcours à plusieurs reprises. Et évidemment pour le public, c’est un avantage de voir les coureurs plusieurs fois, sans avoir à bouger. Pour les courses d’un jour, c’est une très bonne idée. Mais pour les courses par étapes, c’est moins possible. Il faut penser par exemple aux rattrapages : si le circuit n’est pas très long, et que les leaders rattrapent les retardataires, il faut faire attention aux délais. Donc c’est plus complexe, mais le principe des circuits me plaît beaucoup.
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