Interview d’Alex Carera, qui nous dévoile les secrets de la signature de Van Gils chez RedBull Bora

Alors que Maxim Van Gils vient tout juste de s'engager officiellement avec RedBull Bora hansgrohe, Alex Carera, son nouvel agent qui a permis cette transaction, nous a accordé une interview exclusive dans laquelle il nous raconte son parcours, le cas Van Gils ou encore sa vision sur le budget cap. Une interview aussi passionnante qu'instructive.

Retrouvez notre interview complète d'Alex Carera, agent de Pogacar et Maxim Van Gils et Manager de l'agence A&J Sport. Un homme fort du cyclisme, qui travaille dans l'ombre.

Interview exclusive d’Alex Carera « Van Gils a multiplié son salaire par 5 » (2,5M annuel)

Vendredi soir, vous étiez à Paris pour le Vélo d’or, aujourd’hui vous annoncez la nouvelle équipe de Maxim Van Gils : c’est une période dense n’est-ce pas ?

Ce n’est pas seulement cette période, il se passe quelque chose tous les mois. Notre société gère plusieurs athlètes, mais nous sommes 12 et tout est sous contrôle. Bien sûr j’étais à Paris avec Tadej, mais ce sont d’autres membres de mon côté qui gèrent Maxim Van Gils, Isaac Del Toro ou Jan Christen en ce moment. Quand les collaborateurs travaillent bien, on peut faire plein de choses en même temps sans problème.

C’est une grande équipe, et A&J All Sports est certainement la plus grande agence d’agents en cyclisme…

En nombre, non, je crois qu’il y a d’autres agences qui ont plus de coureurs sous contrat, mais en termes de qualité des coureurs, peut-être. Si vous regardez le top 100 des coureurs, je pense que nous en avons le plus dans notre agence. Nous en gérons 3 du top 10 par exemple. Et pour moi, la qualité est plus importante que le nombre.

Comment en êtes-vous arrivé là, justement ?

D’abord, la relation avec chaque coureur est différente, car chaque coureur est différent. Toute relation est unique. En 2004, j’étais l’agent de Gilberto Simoni et Damiano Cunego, qui se battaient tous les deux pour le maillot rose sur le Giro. Pourquoi n’ai-je jamais eu de problème avec ça ? Je leur ai toujours dit que je ne m’implique ni dans les programmes de course, ni dans la tactique ou autre, donc je peux m’occuper de différents coureurs qui ont le même objectif. J’ai toujours été transparent sur ce point et je ne m’implique pas dans les questions techniques. Ce n’est pas mon affaire, je m’occupe de leur problème et de les résoudre en dehors de la course.

Qu’est-ce qui vous rend meilleur que les autres ? Déjà en 2004, Simoni et Cunego étaient au top.

Pourquoi des coureurs du monde entier viennent chez nous ? Parce que nous avons de l’expérience. On a vu de nombreux agents se lancer mais ne rester que 3 ou 4 ans. Dans ce business, si vous restez plus de 20 ans, cela montre que l’on peut se fier à nous. Ensuite ? nous connaissons énormément de monde en cyclisme, nous parlons souvent avec des directeurs sportifs, parce que nous sommes des gens de confiance. Mais vous devriez demander aux coureurs pourquoi ils viennent chez nous.

Comment avez-vous commencé à seulement 22 ans ?

L’histoire est folle. Mes parents n’étaient pas riches et j’étudiais l’économie à l’Université de Milan. Je devais travailler pour payer l’université, et j’ai trouvé un petit boulot pour une assurance en Italie. L’entreprise offrait des assurances pour des athlètes de haut niveau. Ils m’ont demandé quel sport j’aimais, j’ai répondu le cyclisme, donc ils m’ont dit de démarcher les coureurs. J’en ai contacté un qui m’a répondu ‘ne m’appelez pas directement, contactez mon agent’. J’étais surpris qu’il ait un agent, déjà en 1997. Donc j’ai rencontré son agent, on a discuté et j’ai trouvé leur métier fantastique. J’avais donc envie d’en devenir un moi-même, mais on m’a dit qu’il y avait plus de potentiel en football. Après 6 mois de travail intensif, les agents m’ont dit qu’ils préféreraient que je trace ma propre route. J’ai donc lancé mon agence tout seul avec mon frère. En Italie, on dit toujours : ‘Dans la vie, tu n’as qu’une opportunité. Soit tu sautes, soit tu ne sautes pas’. J’ai sauté.

"Toutes les équipes intéressées par Maxim ont proposé plus de 4 fois le salaire de son contrat chez Lotto"

Beaucoup de gens critiquent la direction que prend le cyclisme avec les ruptures de contrat, comme c’est le cas de Maxim van Gils. Pouvez-vous nous parler de cette histoire ?

Maxim Van Gils a signé il y a 6 mois avant une prolongation de contrat avec une autre agence, Wasserman, pas avec moi. En aout, Maxim nous a contactés et nous a dit qu’il n’était pas heureux avec son agent. En Belgique, il est possible de stopper immédiatement le contrat avec un agent si on n’est pas satisfait. On lui a dit qu’évidemment, il pouvait venir avec nous. Je l’ai contacté pour lui confirmer qu’il pouvait nous rejoindre puis il nous a montré le contrat qu’il avait signé avec Lotto. Nous avons donc appelé Lotto et discuté pendant 3 mois pour savoir s’il était possible d’ouvrir son contrat à la concurrence parce que le contrat signé par Maxim n’était pas en ligne avec son niveau. On a proposé de rajouter une année, jusqu'en 2027, pour montrer notre bonne foi. Le problème, c’est que Lotto a perdu Dstny et n’avait pas d’argent.

Dans le contrat, il existait une clause qui disait qu’il pouvait quitter l’équipe s’ils ne pouvaient pas le payer. Nous avons donc entamé des négociations pour savoir quel serait le prix juste pour un départ. Un prix qui les satisferait. Une fois qu’on s’est mis d’accord, on a commencé à discuter avec 4 équipes et nous avons signé un contrat en fin de semaine dernière, de trois ans, comme espéré. Nous avons respecté Lotto, et surtout nous avons respecté les règles de l’UCI, nous n’avions rien violé. Nous avons aidé Lotto, qui avait des problèmes financiers en perdant Dstny, et maintenant ils pourront investir dans le futur sur de nouveaux coureurs [Lotto n’a plus que 25 coureurs sous contrat contre 29 en 2024, ndlr]. Tout le monde est satisfait. Notamment Maxim, car son salaire est à la hauteur de sa valeur.

Maxim Van Gils voulait-il vraiment quitter l’équipe ?

Non, en premier il voulait rester chez Lotto. Mais la carrière d’un coureur est de 10 ans en moyenne, c’est court. Plus court qu’un footballeur. Si ce que proposait Lotto était 30% inférieur à la concurrence, on serait resté chez Lotto. Mais la valeur du contrat signé était bien en dessous de ça. Si on vous propose 5 ou 6 fois le salaire que vous touchiez, évidemment que vous bougez. On ferait tous la même chose. Peu importe le salaire. Auriez-vous refusé de quintupler votre salaire ailleurs ? J’en doute. Toutes les équipes intéressées par lui ont proposé plus de 4 fois le salaire de son contrat chez Lotto. Ce n ‘est pas l’agent qui détermine la valeur d’un coureur, c’est le marché. Si toutes les équipes proposent 4-5 fois plus, c’est que votre salaire est sous-estimé.

Quelles étaient les autres équipes intéressées par Van  Gils ?

C’étaient Astana, Movistar, Ineos et UAE.

Vous connaissez bien toutes ces équipes, donc pourquoi avoir choisi Redbull-Bora-hansgrohe ?

Avec Pogacar, Ayuso, Almeida, Yates, ce n’est pas facile d’être leader chez UAE, surtout sur les Classiques. C’est donc mieux de choisir une autre équipe. Movistar est une équipe espagnole, et pour des raisons linguistiques, ce n’est pas facile pour un Belge de s’intégrer. Ineos a une situation compliquée et pas claire qui ne nous a pas donné envie. Quant à Astana, le problème c’est qu’on ne sait pas ce qui arrivera en 2026 s’ils perdent la licence UCI. Donc Redbull était le meilleur choix pour lui.

"La véritable solution, c’est de mettre toutes les équipes sous le même système d’imposition"

Le cyclisme se trouve une période clé avec la hausse des budgets, le projet One Cycling, le budget cap et autres. Quel est votre regard sur ces évolutions ?

Déjà, le budget cap est une idée stupide. Pourquoi mettre un budget cap ? Pour que plus aucune équipe n’ait une chance de prendre les meilleurs coureurs. Mais le sport est ainsi fait, il y a des équipes plus puissantes que d’autres. Pour moi, la véritable solution, c’est de mettre toutes les équipes sous le même système d’imposition. Aujourd’hui, un budget de 30M en France ou en Suisse ou au Royaume Uni, ce n’est pas pareil. Le budget cap n’a donc aucun sens car il ne serait pas non plus équitable. Il faudrait d’abord commencer par mettre les mêmes règles pour tous.

L’autre problème, c’est les coureurs qui partent avant leur contrat. Or en Belgique, la règle des contrats n’est pas la même qu’en France. Les règles doivent être les mêmes partout. Ces idées ne vont rien régler, elles vont en créer d’autres. Si une équipe trouve plus d’argent que Gianetti ou Plugge, forcément, elle aura plus de chance de gagner des grandes courses.

Pensez-vous qu'il soit possible que les équipes siègent toutes en Suisse par exemple pour avoir les mêmes réglementations ? Difficile d’imaginer Movistar ou Groupama-FDJ en Suisse…

UAE est en Suisse par exemple. C’est simple, si vous avez des sponsors internationaux comme Lidl, Décathlon ou RedBull, ils comprendront que vous installiez l’équipe en Suisse. Ils comprendront les enjeux. Leur but est d’être visible et donc pour cela il faut gagner et avoir les mêmes chances que les autres. Quand on aura des règles claires, vous donnerez plus chances à toutes les équipes.

En 2024, les deux équipes WT avec le plus petit budget, Alpecin et Intermarché, ont gagné 3 Monuments, 6 étapes en GT et le maillot vert sur le Tour. Conclusion, avec un bon manager, on a aussi l'opportunité de gagner. Si on veut que tous les managers aient les mêmes chances, il faut commencer par leur donner les mêmes conditions. Donc les mêmes charges. Sinon, vous ne pourrez jamais concurrencer Bahrain ou autres.