C'est la question que tout le monde se pose : à quel point le matériel influence les performances des coureurs en cyclisme ? Si cela reste difficile à quantifier, nous avons tenté de répondre à cette question. Qu'est ce qui influe sur la performance ? Quel rôle joue chaque composant ? Est-ce que cela peut faire une réelle différence ? Est-ce qu'un bon matériel, un bon vélo, peut faire gagner une course ? Vélofuté enquête.
Pour cette enquête, nous avons interviewé Jérémy Roy, responsable des partenariats techniques au sein de Groupama - FDJ, Jean-Baptiste Quiclet, chef de la performance chez Decathlon AG2R La Mondiale ainsi que Guillaume Robert, fondateur de Matos Vélo. Trois spécialistes qui, grâce à leurs connaissances, vont nous permettre d'en apprendre plus sur le matériel et son influence sur les performances en cyclisme.
Quel rôle joue chaque composant du vélo ?
Sur le vélo, chaque pièce joue un rôle important, avec une synergie commune obligatoire pour exceller. L'objectif d'avoir un bon matériel est évidemment de fournir un outil capable d'offrir les performances et le confort nécessaires aux coureurs : "le matériel, c'est avant tout un ensemble à optimiser afin d'éviter de laisser des forces dans la nature", même si il ne faut pas oublier "la fiabilité, qui est l'élément principal" pour Jérémy Roy. Une vision que partage Jean Baptiste Quiclet : "il y a de nombreux accessoires périphériques qui ont une importance et il faut aller chercher une cohérence globale entre ces composants. Le pneumatique et la roue sont liés. La roue par rapport à l'ergonomie du cadre a aussi une importance. Le cockpit a un impact par rapport à la douille".
Le cadre, l'élément clé ?
Le cadre tout d'abord est le premier élément auquel on pense lorsque l'on parle d'un vélo. Son poids va avoir une influence importante sur les performances du coureur, notamment lorsque la pente s'élève, tandis que son aérodynamisme sera déterminant sur le plat et particulièrement sur les contre-la-montre. Une vision validée par Matos Vélo : "Je dirais que c'est le cadre qui a le plus d'influence. Même si beaucoup de monde pense en priorité aux roues, les apports de ces dernières sont assez faibles au final".
Le pneu et la roue, des composantes liées
Les pneus jouent aussi évidemment un rôle puisque "toute la transmission de la vitesse passe par là". L'importance de bien choisir son pneumatique en fonction de la configuration de la roue va jouer sur le grip, le rendement et la cohérence aérodynamique du pneu sur la jante. Jean-Baptiste Quiclet nous prévient "qu'il y a des pneus qui fonctionnent très bien sur une jante et pas sur d'autres et on peut dégrader le rendement juste à cause d'une mauvaise intégration". Un bon pneu, c'est aussi moins de fatigue pour Guillaume Robert :"les pneus offrent plus ou moins de résistance et c'est autant de fatigue en moins".
Le saviez-vous : "Sur piste, la pression monte à 12 bars tandis que sur route, on est autour des 5-8 bars selon le type de boyaux". Jérémy Roy
Pour Jérémy Roy, le coefficient de roulement ou encore la taille de section (largeur du pneu gonflé) entre 25 et 28mm permettent "d'améliorer le rendement et l'aéro". Mais là encore, sans une bonne intégration avec la roue, "il y aura de la perdition". Concernant la roue, c'est avant tout une question de poids, puisqu'elle influe sur 10-15% du poids total du vélo. C'est un composant important pour l'aéro.
La tige de selle
L'arrivée des géométries modernes a rendu la tige de celle plus haute mais pour Jean-Baptiste Quiclet, c'est "avant tout un travail de bike fitter, qui va chercher en terme de biomécanique ce qui est le plus cohérent par rapport aux caractéristique du coureur". Evidemment plus la tige de selle est haute, plus il y a un effet aérodynamique mais il faut "pouvoir encaisser la position physiquement, ce qui n'est pas donné à tout le monde", tempère-t-il.
Comment les équipes développent-elles leurs vélos ?
Dans le cyclisme moderne, le développement du matériel et du vélo passe forcément par la data. Tout est analysé pour essayer de comprendre où le coureur perd de l'énergie et comment y remédier. Pour être certain que le matériel est bon, il ne faut donc pas faire confiance qu'aux sensations du coureur. Un parti-pris qu'assume largement Jean-Baptiste Quiclet : "Il y a une première analyse basée sur le feeling évidemment mais il faut ensuite que cela soit validé par la donnée car il n'est pas rare que les croyances du coureur viennent nous tromper sur l'efficacité réelle d'un équipement." Les analyses viennent donc ensuite comme une validation des sensations, même si très souvent "cela confirme le ressenti des coureurs". Si jamais ce ressenti est mauvais - et même si il est bon - il est important de partager un retour d'expérience afin de s'assurer de la bonne direction prise. Le feedback est donc là encore un élément clé et il faut s'assurer d'une bonne communication entre le fabricant et les mécaniciens. Un rôle que joue actuellement Jérémy Roy au sein de Groupama FDJ. Un retour d'expérience qui permet d'effectuer des ajustements pour le futur, notamment en termes de confort. En l'occurrence, les coureurs de l'équipe française sont très heureux des vélos Willier, que ce soit en termes de performance que de confort mais il n'est pas impossible qu'il y ait des petites améliorations d'ici au Tour de France.
Evidemment, les équipes développent plusieurs types de vélo, adaptés au terrain. Le vélo utilisé en montagne n'est pas le même que celui sur le plat. Les équipes ont souvent trois types de vélo différents. Un light pour la montagne, un plus profilé et lourd pour le plat et un vélo de contre-la-montre.
En montagne, tout a son influence mais à des échelles différentes. Le poids du coureur joue un rôle majeur, bien plus que le vélo, mais plus le coureur est léger, plus le poids du vélo est important. On va chercher du gain de poids partout, et pas seulement sur le cadre, comme nous l'explique Jérémy Roy : "l'inertie des roues, l'optimisation du poids sur les accessoires, comme des guidons avec une potence intégrée, ont une influence". Rien ne peut donc être négligé.
Sur les pavés, le pneumatique est sans doute le point clé pour trouver "un compromis entre confort, performance et sécurité". Pour améliorer le confort et la sécurité, il faut idéalement baisser la pression mais cela augmente les chances de crevaison. Ce choix est vraiment propre au coureur et à sa manière de diriger son vélo ou de choisir ses angles et ses trajectoires. C'est là qu'intervient la grosse nouveauté des dernières années, le Tubeless. D'ailleurs, chez Groupama - FDJ, on tend vers le 100% Tubeless dans le futur. Un outil qui permet "d'augmenter les sections et diminuer la pression" comme l'explique Jérémy Roy, pour combiner confort, performance et réduire les risques de crevaison, puisqu'il n'y a pas de chambre à air. Du côté de Decathlon AG2R La Mondiale, pour ce qui est des crevaisons, on ajoute qu'il est difficile de déterminer si la crevaison est liée au matériel ou non et on s'attèle surtout à comptabiliser le nombre de pneus crevés par course et à comparer avec les autres équipes afin de voir si "on est dans la moyenne de ce qui se pratique". A noter qu'actuellement, selon Matos Vélo, le vélo Alpecin est sans doute le plus adapté, "le Canyon Aeroad, utilisé notamment par MVDP offre lui aussi une belle polyvalence".
Le saviez-vous : "Auparavant, il y avait des vélos spécifiques pour les pavés, ce qui n'est plus le cas grâce aux pneumatiques et à l'augmentation des sections qui permettent de mettre des jantes hautes en carbone". Jérémy Roy
Pour ce qui est du plat, et plus globalement, lors des vitesses supérieures à 30kmh, il y a plusieurs zones du vélo où l'aérodynamisme a un impact, comme nous l'explique Jean-Baptiste Quiclet : "On sait que l'ensemble douille / cockpit à un impact sur l'aéro. On sait aussi que le triangle inférieur vers le serrage de selle est aussi une zone déterminante". Mais évidemment, le cadre et le casque ont un rôle aérodynamique décisif, qui doit être parfaitement associé à la position du coureur, de sorte à ce qu'il ne fasse qu'un avec sa machine. Il ne faut pas non plus oublier la roue, qui a un impact non négligeable sur la pénétration dans l'air. Raison pour laquelle il existe des roues lenticulaire pour le contre-la-montre, afin d'éviter la perdition de puissance. Mais cela rend inévitablement le vélo moins maniable. C'est donc un choix à faire.
A quel point le matériel et le vélo influencent les performances en cyclisme ?
"Pendant tout une période, les fabricants de vélo se sont concentrés sur le poids du vélo avec les cadres carbones pour améliorer les performances mais l'aérodynamisme est devenu un point clé". Ces paroles de Jean-Baptiste Quiclet sonnent comme une vraie révolution pour le matériel et le vélo depuis 10 ans. Cela rend la vitesse du peloton de plus en plus importante et c'est devenu une vraie course à l'équipement, sur plusieurs axes et pas seulement le cadre ou le poids.
Pour comprendre et visualiser l'importance du matériel aujourd'hui, nous allons parler en chiffres. Evidemment, il s'agit ici d'une moyenne avec une puissance et une vitesse données. Si on additionne toutes les composantes du matériel, on peut aller chercher jusqu'à 10 Watts selon Jérémy Roy. Il peut même y avoir un écart de 15-20 Watts entre certains cadres de vélo, même si là encore, il faut prendre tout cela avec des pincettes car cela dépendra du coureur, de son poids, de sa position et d'autres critères. Ici, ces 20 Watts seraient calculés en soufflerie sur du plat à une vitesse de 45 km/h. Une statistique confirmée par le directeur de la performance de Décathlon AG2R La Mondiale, qui parle lui aussi "d'une différence qui peut aller jusqu'à 10 watts entre certains vélos du peloton actuel". On se rend donc compte que c'est loin d'être anecdotique, surtout dans une période où les gains marginaux sont devenus rois. Pour Guillaume Robert, les différences sont surtout faites grâce à l'aérodynamisme global, notamment sur le plat : "les différences sont minimes en termes de rigidité. C'est surtout au niveau de l'aérodynamisme qu'il y a des différences de quelques watts".
En montagne, les données annoncent une différence de 5 Watts pour 1kg d'écart sur des pentes à 8%. Cinq Watts c'est entre 1kmh et 1,5 kmh. Pas anecdotique. Et il ne s'agit que du poids du cadre. "A ces vitesses, l'aéro n'a plus la même importance. L'impact est beaucoup plus faible même si il reste présent autour de 20-25 kmh", insiste Jérémy Roy. Pour Jean-Baptiste Quiclet, "ce qui semble clair, c'est que le poids est redevenu un point prioritaire au delà de 8% de pente par rapport à l'aérodynamisme. Mais sous 7%, avec la vitesse du peloton actuelle au delà de 30 km/h dans les ascensions moins pentues, c'est bien l'aéro qui fait la différence". Sous 7%, il vaut donc mieux avoir un vélo un peu plus lourd mais avec une très bonne trainée aérodynamique que l'inverse. Mais comme vous ne pouvez pas changer de vélo aussi facilement en cours d'étape, il faut donc faire un choix crucial et avoir une bonne analyse de la course. Actuellement, "le Specialized Tarmac SL8 des Bora & Quick-Step est sans doute un des meilleurs du moment", selon Guillaume Robert.
Avec ces chiffres avancés, on peut se dire que les pourcentages restent faible mais comme le précise Jean-Baptiste Quiclet, "avec la densité de niveau global, le niveau de préparation des coureurs, c'est dans les détails que se cachent la performance et le matériel en fait évidemment partie".
Attention cependant, lorsque l'on parle d'un vélo de tant de pourcents plus aérodynamique ou qu'on économise tant de watts, il faut rester mesuré. Comme nous le précise Jérémy Roy, "ces chiffres sont annoncés pour le vélo seul mais si l'on ajoute le coureur, l'impact diminue, forcément". En effet, il faut également considérer la pénétration dans l'air du coureur en plus de celui du vélo, tout comme il faut prendre en compte le poids du vélo et du coureur. Le poids du vélo représente naturellement une part beaucoup plus faible que celui du coureurs. C'est d'ailleurs avec cette donnée que l'on se rend compte que le matériel a plus ou moins d'influence sur un coureur. Prenez Christopher Froome. Sa grande taille (1m86) lui offrait une position plus aérodynamique mais le rendait forcément plus lourd (68kg en 2015) qu'un Lenny Martinez et ses 52kg.
Ainsi Lenny Martinez sera plus dépendant du poids du matériel, qui aura une plus grosse influence que lui puisque le vélo représente 13% du poids global (Vélo + coureur) contre 10% pour Froome. On peut certes se dire que 3% c'est peu, mais quand on voit l'importance de chaque rendement, cela joue forcément. D'ailleurs, selon Jérémy Roy, "les coureurs les plus petits se plaignent de la réglementation concernant le poids minimum du vélo, puisqu'ils trouvent cela injuste qu'un coureur plus lourd puisse avoir un vélo du même poids." Un peu comme en F1, qui à l'inverse, favorise les pilotes les plus légers grâce au poids minimum, qui permet à l'écurie d'ajouter plus de poids pour l'aérodynamisme ou la peinture. Preuve que c'est une donnée non négligeable.
Conclusion : est-ce qu'un bon matériel peut faire gagner une course ?
Pour Jérémy Roy la réponse est claire : "je ne sais pas si le matériel peut te faire gagner une course mais ce qui est certain, c'est qu'un mauvais matériel peut te faire perdre". Car, ce qui ressort de cette enquête c'est qu'aujourd'hui, tout le peloton est dans une recherche d'optimisation, aussi bien sur le matériel que la préparation. C'est donc qu'il y a encore une marge de progression dans le domaine et que d'une certaine manière, pousser pour être à la pointe du matériel, c'est s'assurer d'avoir les mêmes chances de gagner que les autres, même si parfois, cela n'influe pas de manière équivalente sur tous les coureurs. Mais comme le rappelle Matos Vélo, c'est avant tout le coureur qui fera la différence : "Le coureur prime , mais oui, du bon matériel peut faire gagner une course, notamment en termes de fatigue. Même si les gains sont de seulement de 10 watts, au bout de 5 heures de course, cela peut faire la différence sur une attaque. Mais un Remco ou MVDP dans un grand jour pourra toujours gagner sur n’importe quel vélo du World Tour".
Le matériel a sans doute joué un rôle pour AG2R ! Van Rysel à l'air de faire de super vélos.
La diff de performance est qd même loin d'être anecdotique