Plus gros pourvoyeur de points UCI du Team TotalEnergies en 2024, Emilien Jeannière a repris la compétition sur les mêmes bases, avec un podium à Almeria. En attendant le début des classiques avec le Samyn ce mardi, le sprinteur de 26 ans s’est confié à Vélofuté sur ses objectifs, son statut, ses rêves et la situation de l’équipe, à la recherche d’invitations en WT. Entretien.

Es-tu satisfait de ton début de saison, marqué par un beau podium à Almeria ?
Oui, je trouve que c’est une bonne reprise. J’ai commencé à Oman avec des top 10, ensuite Almeria est venu ponctuer ça avec un podium sur une course pour purs sprinteurs. Moi, je préfère les sprints à groupe réduit, là c’est un final tortueux en ville avec beaucoup de frottage, donc je suis assez satisfait.
Peux-tu nous en dire un peu plus sur ton profil, plutôt sprinteur ou puncheur ?
C’est difficile de mettre un mot exact. Je dirais que je suis un sprinteur qui passe bien les bosses. On voit l’an passé les courses sur lesquelles j’ai performé, ce sont celles qui arrivent à 30-40 au sprint, qui ont été rendues usantes par le profil ou la météo. J’ai une très bonne pointe de vitesse, et ça fait partie de mes objectifs de cette année : me frotter de plus en plus aux sprints massifs. J’ai déjà montré l’an passé un potentiel, avec un top 10 à De Panne. J’ai un profil un peu mixte qui permet de jouer sur pas mal de courses.
Quel serait ton modèle, peut-être par rapport à tes caractéristiques ?
Étrangement, mes inspirations sont plutôt des coureurs qui n’ont pas mon profil. J’ai toujours été fan de Philippe Gilbert, Thomas Voeckler ou Julian Alaphilippe. J’ai aussi beaucoup aimé les grandes années de Mark Cavendish, ou Peter Sagan pour les sprinteurs. Mon profil se rapproche de Sagan, Matthews ou De Lie, mais je ne veux pas me comparer à ces gars-là, je veux faire mon propre chemin.
Tu es en coupure avant le Samyn, et ensuite ?
Ce n’est pas vraiment une coupure, malheureusement on n’a pas été invité sur l’Omloop et Kuurne malgré ma 6e place l’an passé. J’aurais aimé être au départ de ces courses, mais ça permet de faire un bon bloc pour peaufiner la forme et être présent sur les prochaines courses, notamment le Samyn et d’autres classiques françaises et belges.
"Je veux montrer que j’ai ma place au niveau World Tour."
Quels sont tes gros objectifs à venir ?
C’est difficile de répondre, car on dépend des invitations sur les courses WT. On n’a pas tout notre programme. Mais j’ai de belles ambitions sur des courses au niveau plus élevé que celles sur lesquelles j’ai brillé l’an passé. Je veux montrer que j’ai ma place au niveau WT. Ça commence déjà avec Paris-Nice. Je n’ai pas encore la sélection définitive mais je devrais y être [la sélection sera publiée mercredi, ndlr]. Ensuite il y aura d’autres classiques comme Brugge-De Panne ou Gend Wevelgem qui me conviennent bien. Après, j’ai un objectif qui me tient à cœur, c’est le championnat de France qui se déroulera chez moi aux Herbiers. J’y pense depuis plusieurs années, c’est mon gros objectif de la saison. Ensuite, j’espère vraiment qu’on sera sur le Tour et j’aimerais vraiment en être. On attend les invitations et toute l’équipe veut y être, donc on verra le moment venu, sachant que je n’ai pas encore fait de courses WT par étapes.
Cette situation de dépendance aux invitations est complexe, et vous avez cette année encore plus de concurrence avec Tudor et Q36.5. En plus, il semble que vos bons résultats passés ne sont pas valorisés. Comment gérez-vous ça ?
C’est délicat, ce n’est pas nouveau mais c’est vrai que d’année en année, on reçoit de moins en moins d’invitations. Des équipes grandissent et c’est un peu la guerre. Chaque équipe essaye de gagner sa place avec ses valeurs. Tudor a fait un gros recrutement avec Alaphilippe et Hirschi, Q36.5 c’est pareil avec Pidcock. Ça joue forcément et je ne critique pas, c’est le jeu, mais c’est à nous de faire des résultats sur les courses auxquelles on est invité pour avoir plus d’invitations les années suivantes.
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Tu as 26 ans, tu n’es pas le plus expérimenté de l’équipe, mais tu sors d’une super saison où tu es le plus gros pourvoyeur de points UCI de l’équipe. Sens-tu un changement de statut ?
Déjà l’an passé l’équipe me faisait confiance, ça veut dire beaucoup pour moi. Mais les points, ça ne fait pas tout. Il y a dans l’équipe plusieurs leaders qui peuvent faire de grandes choses sur des grandes courses, notamment en montagne. Je pense aussi que mon profil me permet de marquer plus de points qu’eux. Mais c’est clair que l’équipe me fait confiance, et cette année on a encore plus d’ambition. J’ai ce rôle de leader-sprinteur sur les courses auxquelles je participe, c’est ce que j’attendais, car j’ai prouvé que je ne lâchais jamais et que même dans les moments difficiles, j’accroche un top 5-10, et l’équipe l’a remarqué.
Tu as dit vouloir t’améliorer en frottant plus pour jouer les sprints massifs. Est-ce que ça peut se traduire par un rôle de leader sur les étapes de « plaine » sur Paris-Nice ?
C’est clair entre moi et l’équipe que sur les courses auxquelles je participe, si la forme est là, c’est moi qui endosse le rôle de leader. Je ne suis pas encore sûr de ma participation sur Paris-Nice, et c’est vrai qu’il n’y a jamais vraiment d’étape de plaine sur Paris-Nice, mais je devrais avoir ce rôle de coureur protégé pour jouer les sprints.
"Être champion de France à domicile, je pense que ça grave quelque chose dans les murs du Manoir"
Tu es un pur produit de la structure TotalEnergies, et vendéen pure souche. Tu as grandi avec cette structure en modèle, à quel point en es-tu fier ?
Franchement, c’est une énorme fierté. J’ai commencé le vélo dans mon club aux Herbiers, derrière j’ai fait un passage au CREF Pays de Loire, puis le Vendée U et maintenant TotalEnergies. J’ai fait le parcours type d’un Vendéen, comme d’autres, par exemple Mathieu Burgaudeau. J’ai eu la chance de profiter de tout cet écosystème vendéen qui est fort depuis de nombreuses années. Ça m’a permis d’en être là aujourd’hui, j’en suis extrêmement reconnaissant. Je viens d’une famille qui aime le vélo, et quand on habite juste à côté des Essarts et du Manoir, ça donne envie. Maintenant j’en suis là et c’est à moi de marquer l’histoire de l’équipe.
On sent un fort sentiment d’appartenance des coureurs formés chez TotalEnergies. Est-ce que tu t’imagines faire toute ta carrière dans la structure, ou est-ce que tu rêves aussi de rejoindre une structure plus grande du niveau WT ?
Je le répète, je suis très reconnaissant envers l’équipe. L’équipe me plaît beaucoup, il y a une super cohésion avec les coureurs ou le staff, on remarque du changement, on retourne à une identité très locale. L’équipe a de l’ambition et je vois des évolutions, donc je me sens très bien dans l’équipe. J’ai re-signé dans l’équipe pour 2026, c’est la preuve que je suis bien dans l’équipe. J’ai envie de prouver, passer les échelons petit à petit et marquer l’histoire de l’équipe. Après, on verra ce qui se passe, si je grandis beaucoup et que l’opportunité de rejoindre une Top Team se présente, je ne veux pas me fermer de porte maintenant. Mais si l’équipe est toujours en phase avec mes ambitions, je n’ai pas de raison de changer. On verra de quoi l’avenir sera fait, mais je suis totalement en phase avec l’équipe aujourd’hui.
Tu as répété deux fois l’envie de « marquer l’histoire de l’équipe ». Ça passe par quoi, selon toi ?
Ça peut être par la régularité ou de grosses performances. Pour revenir à mes objectifs de l’année, je pense qu’être champion de France à domicile, je pense que ça grave quelque chose dans les murs du Manoir. Après je suis un peu chauvin, en tant que Vendéen, le Tour de Vendée me fait rêver. J’ai une pensée pour eux qui n’ont pas pu faire la course l’an passé, j’espère qu’il aura lieu cette année, et j’aimerais vraiment inscrire mon nom au palmarès. Ce n’est pas la course la plus prestigieuse, mais pour le cœur des Vendéens, le mien et de l’équipe, c’est très important. Enfin évidemment, le Tour de France est un rêve pour tout le monde. Ça fait longtemps que j’ai compris que je ne le gagnerai jamais, mais je crois de plus en plus que je peux aller gagner une étape. Je pense que ça me ferait passer dans une autre dimension.
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