Après avoir renoué avec la victoire sur le Tour de France et enchainé avec une nouvelle étape sur la Vuelta, Cofidis réalise une excellente saison 2023. Au lendemain du succès de Jesus Herrada en Espagne, le directeur de Cofidis, Cédric Vasseur, s'est confié longuement à Vélofuté sur ses ambitions pour s'installer dans le top 10 mondial.
Lors de notre dernier entretien en janvier 2022, et à l’époque, votre objectif était le maintien en World Tour. Depuis, le maintien a été acquis et vous êtes actuellement 12e au classement UCI. Que vous inspire ce constat ?
Je savoure la qualité et la quantité de travail effectué depuis 2018 par le staff et les coureurs. L’accession en World Tour a été difficile. Je pense qu’aujourd’hui, on est une équipe qui compte au niveau international. On a renoué avec la victoire sur le Tour de France, c’est peut-être le symbole le plus marquant de cette progression, car on n’a pas volé nos victoires. On a des coureurs qui font partie des meilleurs mondiaux. Tout ça fait que Cofidis est une équipe reconnue, qui travaille avec des partenaires performants, avec Look (cycle), Corima (roue), Ekoï, on travaille l’aérodynamisme, la légèreté. Ça nous permet d’être performant au plus haut niveau. On est loin de la situation de 2022, car on se bat pour être dans les 10 meilleures équipes, ce qui n’est plus du tout la même chose. C’est raisonnable, car quand on voit nos résultats et notre budget par rapport à d’autres équipes, on a un super rapport qualité / prix.
Cofidis semble effectivement bien installée dans le top 15, vous visez donc le top 10. Comment comptez-vous y parvenir ?
Déjà, on a terminé la saison 2022 à la 10e place. Toutes les équipes, coureurs et staffs, ont montré une véritable volonté de progresser. Dans le monde du sport, quand on obtient un résultat, il n’y a pas de raison de ne pas y parvenir une 2e fois. J’en suis l’incarnation, puisque j’ai gagné une étape sur le Tour en 1997 et j’en ai regagné une en 2007. Donc quand on se donne les moyens, on doit être capable de reproduire une performance. Pour nous, la 10e place doit être l’objectif minimum pour les années suivantes et à la vue de notre effectif, c’est à notre portée. C’est une façon de grandir et c’est mon objectif, faire grandir Cofidis et enclencher un cercle vertueux. Et aussi faire grandir Cofidis en termes de budget. Car aujourd’hui, les équipes les plus reconnues ont 40, 50 millions de budget. C’est beaucoup plus facile d’attirer des talents quand on a 50 M€ de budget que quand on en a 20.
En termes de budget, où en êtes-vous et qu’ambitionnez-vous ?
Pour faire simple, Cofidis, c’est 19 M€ de budget, là où Groupama-FDJ est à 22 M€ et AG2R-Citroën environ à 25 M€. Donc on est le plus petit des trois. On a face à nous des mastodontes avec Jumbo et UAE à 45 M€, puis Ineos qui dépasse probablement les 50 M€. Ajoutez à cela que la plupart de ces équipes, comme Ineos, ont des contrats d’indépendants. Les structures françaises salarient leurs coureurs, et pour un coureur français, on donne 42,5% de charges patronales, pour garantir sa sécurité sociale, sa retraite etc. Ineos, qui emploie ses coureurs en indépendants, paye 0€ de charges patronales. C’est incomparable. Je ne critique pas le système, je constate seulement que nous, on aimerait atteindre les 25 M€ de budget, et on sait qu’on n’y arrivera pas avec Cofidis seul. C’est la qualité de notre projet qui nous permettra d’attirer d’autres partenaires et de faire grimper le budget.
L’équipe Cofidis est une filiale à part entière du groupe Cofidis. Est-ce un frein pour la croissance du budget, ou au contraire un atout ?
Je considère que c’est une force de bénéficier de la solidité d’un groupe comme Cofidis. Cela fait 26 ans que l’équipe existe. Mais c’est important de prendre du recul et d’anticiper la façon dont le cyclisme fonctionnera en 2030. On voit qu’aujourd’hui, de nombreuses équipes appartiennent à des milliardaires et à des Etats, notamment du Moyen-Orient, on entend parler de fonds d’investissement qui veulent arriver dans le cyclisme. Et là ce n’est plus la même histoire. Cofidis ne peut pas rivaliser avec Abu-Dhabi, Dubaï ou un fonds. Il faut rester vigilent pour ne pas se retrouver avec 4-5 équipes qui dominent tout le monde, et 10-15 équipes figurantes qui changent d’années en années. On n’a pas forcément envie de faire partie des figurants.
On assiste effectivement à un cyclisme dominé par quelques équipes, notamment Jumbo-Visma et UAE, qui recrutent les leaders des autres équipes…
Quand on a 45 M€ de budget, c’est forcément plus simple d’attirer les meilleurs.
Quel regard portez-vous sur ce phénomène ? Êtes-vous favorable à une régulation plus stricte du marché, avec un budget ou salary cap, ou au contraire un marché libre ?
Je pense que le public se lasserait de voir toujours les mêmes gagner. On a tous eu des idoles comme Merckx ou Hinault, et il est normal que dans chaque génération, il y ait des coureurs qui gagnent plus que d’autres. Mais à un moment donné, quand ce sont toujours les mêmes qui gagnent, cela crée un déséquilibre. La force du cyclisme, c’est d’assister à des victoires inattendues, des chevauchées fantastiques. Si on connait le vainqueur à l’avance et que l’on doit laisser gagner tel coureur, ça ne s’appelle plus une course cycliste, c’est un critérium. Imaginez un Tour de France où toutes les étapes et le maillot jaune étaient remportés par Jumbo-Visma. Je pense que les partenaires iraient voir ailleurs pour avoir plus de suspense et de spectacle.
Pour vous, le cyclisme actuel, bien que dominé par certaines équipes, n’est pas encore trop déséquilibré ?
Non, la preuve est qu’on a quand même gagné deux étapes sur le Tour. Mais je pense qu’on a atteint une limite à ne pas dépasser, car si on continue d’intensifier ce déséquilibre… On a encore tous les moyens de s’exprimer, mais les scénarii deviennent de plus en plus stéréotypés. On retrouve de nombreux médias et sites qui répertorient au départ de chaque étape les favoris pour la victoire en les classant avec des étoiles. On n’est jamais loin de la vérité. Heureusement, on a souvent des surprises.
Vous parliez d’un cercle vertueux, être performant pour attirer les nouveaux talents. Quelle est votre stratégie pour attirer les talents, les jeunes, face aux grosses armadas ?
Ce que je dis aux coureurs, c’est qu’ils ont le choix : soit ils vont chercher un gros contrat à 1-2 millions, mais on ne les voit pas à la télévision, ils vont chercher les bidons et ne sont qu’un numéro dans une équipe, soit ils gagnent moins, mais ils ont l’opportunité de remporter des courses, de se faire un palmarès. Heureusement il existe encore beaucoup de coureurs qui préfèrent les choix sportifs, prennent plaisir à faire des courses pour les gagner. Et quand on est un jeune talent et que l’on veut se forger un palmarès, il vaut mieux choisir une équipe comme Cofidis qu’une grosse équipe où l’on est complètement barré.
Par rapport à cela, qu’en est-il de Victor Lafay ?
J’ai lu dans la presse des chiffres complètement ahurissants. On annonce que Cofidis aurait proposé 1,5 million d’euros à Victor Lafay ! Je vous assure que l’on n’a jamais proposé ce monté. Tout simplement parce que Victor Lafay vaut la moitié de ce montant. Jamais Cofidis n’a proposé ce salaire, mais si une équipe concurrente lui a proposé ce montant, tant mieux pour lui. On lui a proposé la moitié, et il n’a pas resigné chez nous pour l’instant.
En ce qui concerne le mercato, des coureurs importants quittent l’effectif, comme probablement Victor Lafay ou encore Max Walscheid. Vous avez annoncé 4 recrues, surtout des jeunes, que peut-on attendre de la suite ?
Nous sommes en croissance avec un effectif de qualité. Notre objectif premier était de prolonger les coureurs qui nous ont régalé et pour lesquels nous voyons encore une marge de progression. Cela concernait Jesus Herrada, Bryan Coquard, Benjamin Thomas, et Victor Lafay pour qui nous n’avons pas de signature. Simone Consonni nous a beaucoup déçus sur le Giro, donc on a choisi de ne pas le conserver. Max Walscheid est un bon coureur mais avec un registre trop restreint pour nous. Même en perdant Max et Simone, je pense qu’on peut les remplacer sans perdre en qualité. L’effectif de 2024 devrait nous permettre de faire encore mieux qu’en 2023.
Vous n’avez pas de noms précis à dévoiler ?
Non pas encore, mais cela ne saurait tarder. On a en tout cas tendu la main à Alexis Gougeard et c’est un coureur capable de retrouver le très très haut niveau. On a aussi annoncé Nicolas Debeaumarché et Nolann Mahoudo, car on est une équipe française et on se doit de recruter des Français, et ces deux coureurs ont un potentiel de progression assez énorme. Ensuite, on voulait renforcer notre effectif pour les Classiques, car on veut construire autour d’Axel Zingle. Le groupe sera très renforcé l’année prochaine, notamment avec l’arrivée de Ludovic Robeet, qui a gagné Nokere Koerse, qui a l’habitude des courses belges, de mener le peloton pendant longtemps et mettre Axel Zingle à l’abri pendant de nombreux kilomètres. On annoncera d’autres coureurs dans ce registre capables d’aider Axel.
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