Présente dans le peloton professionnel depuis 2007, l’équipe Astana, financée par un fonds souverain kazakhstanais, sert de vitrine au pays de l’ancien président Noursoultan Nazarbaïev pour exister sur la scène internationale. Analyse.
« Le Kazakhstan est la plus grande nation dans le monde », chante-t-il sur l’hymne américain. Si vous avez la référence et reconnaissez l’auteur de cette citation, alors vous avez certainement une image biaisée du Kazakhstan. « Vous avez vu le film Borat ? Moi non », confie Michaël Levystone, chercheur au centre Russie NEI de l’Institut Français des Relations Internationales (IFRI). « Le film a été très mal reçu au Kazakhstan à sa sortie, en 2006. Mais finalement, le gouvernement a été assez pragmatique et s’est servi de sa portée internationale comme moyen de communication. » Ce personnage lourdingue, légèrement stupide et sans-gêne véhicule en effet d’absurdes clichés sur le pays au drapeau jaune et bleu, mais il est peut-être, en 2006, la seule personnalité kazakhstanaise (kazakh désignant la population musulmane, kazakhstanais les citoyens) connue au-delà des frontières centre-asiatiques. La seule, à une exception près : le cycliste Alexandre Vinokourov.
Cette année-là, le puncheur-grimpeur remporte la Vuelta, devenant ainsi le premier et unique coureur de l’ex-URSS hors Russie à remporter un Grand Tour. Et ce après avoir remporté Liège-Bastogne-Liège, un Monument du cyclisme (qu’il remportera une seconde fois en 2010), le classement général de Paris-Nice en 2002 et 2003 et une médaille d’argent aux JO de Sydney. Bref, il est l’un des meilleurs coureurs du peloton mondial. « L’arrivée de l’équipe Astana dans le cyclisme doit son origine marketing dans les succès d’Alexandre Vinokourov », explique Jean-Christophe Gallien, chroniqueur, professeur associé à l’Université de Paris 1 La Sorbonne et directeur de Zenon7 Public Affairs, cabinet de conseil en Affaires Européennes et Diplomatie Economique.
Des investissements enclenchés par les succès de Vinokourov
« L’arrivée d’Astana dans le vélo n’est pas un hasard. C’est la suite logique d’un développement rapide et glorieux du Kazakhstan, avec de nombreux coureurs importants, même avant 2007 », complète Yesbossyn Smagulov, politologue kazakhstanais spécialisé dans le sport. Hautement dépendant du pétrole, dont les exportations représentent 55% du budget de l’Etat et 56% de la valeur des exportations, le Kazakhstan voit là une occasion de se faire connaître et de diversifier son économie. En 2007, Samrouk-Kazyna, le fonds souverain du pays, décide donc d’investir dans le cyclisme en rachetant une équipe et faire ainsi rayonner le Kazakhstan au-delà des frontières asiatiques. « Astana est le meilleur exemple de diplomatie sportive en Asie centrale », poursuit le politologue. « Le budget de l'équipe est inférieur à celui des équipes de football du Kazakhstan, mais le football local ne peut se targuer d'aucun succès international. En revanche, l'équipe cycliste d'Astana remporte chaque année des victoires dans les compétitions les plus prestigieuses », avance Smagulov. Au-delà de l’aspect économique, le cyclisme offre des atouts non négligeables pour faire connaître la ville d’Astana, nommée capitale du Kazakhstan en 1997.
« Le cyclisme, par sa nature et son histoire, met en valeur des villes plus que des pays. Les villes s’inscrivent pour recevoir des étapes, les courses célèbres comportent le nom des villes, comme Liège-Bastogne-Liège ou Milan-San Remo. Le cyclisme, plus que tout autre sport, permet à une ville de se positionner sur la carte du monde », explique Gallien. Pour un pays récemment créé en tant que tel après l’éclatement du bloc soviétique, se faire connaître est un objectif géopolitique majeur. Et de ce point de vue, l’histoire a souri au collectif jaune et bleu, avec une belle collection de victoires prestigieuses en 15 ans d’existence : 2 Tour de France, 2 Giro, 2 Vuelta, 3 Liège-Bastogne-Liège ou encore 2 Tour de Lombardie. Le tout avec de véritables stars du peloton qu’étaient Alberto Contador, Vincenzo Nibali ou Jakob Fuglsang.
Positionner Astana sur la carte du monde
Même les nombreux scandales de dopage, avec l’affaire du bœuf contaminé d’Alberto Contador, destitué de la Grande Boucle 2010, ou l’affaire Vinokourov, suspendu un an pour dopage de 2007 à 2008 après un contrôle positif aux transfusions homologues, n’ont pas suffi pour arrêter les investissements dans le cyclisme. « Le Kazakhstan et son président de l’époque, Noursoultan Nazarbaïev [président de 1991 à 2019, ndlr] étaient très pragmatiques : ils voulaient, globalement mais aussi dans le vélo, véhiculer une image de vainqueur, faire connaître le pays peu importe la façon, et marquer sa supériorité régionale face aux autres pays en ‘Stan’ », résume Levystone. Le pays aux 19 millions d’habitants dispose effectivement d’une situation géographique singulière : coincé entre la Russie au Nord et la Chine à l’Est, le Kazakhstan, qui est grand comme cinq fois la France, est une véritable « zone intermédiaire en Asie centrale », comme le résume Gallien. Les autres pays en Stan, que sont le Turkménistan, l’Ouzbekistan ou le Kirghiztan, ne font pas le poids économiquement et politiquement. « Le Kazakhstan représente les deux tiers du PIB de la région, ce sont des gens costauds et très fiers », raconte Levystone. « Pour exister sur le plan international, ils font profil bas vis-à-vis de la Russie et de la Chine, et signent des partenariats internationaux. C’est un messager très important pour la France avec la Russie, par exemple », termine-t-il.
Même si Astana a été rebaptisée Noursoultan, en hommage à son président Nazerbaïev suite à sa démission en 2019, l’équipe cycliste sert toujours de vitrine pour montrer une image progressiste. « Beaucoup associent l'Asie centrale à l'Afghanistan et à des problèmes tels que la pauvreté, l'extrémisme et le terrorisme. En réalité, la situation au Kazakhstan est bien meilleure que dans les autres pays de la région et le gouvernement s'efforce de faire connaître le Kazakhstan comme un pays progressiste doté d'un grand potentiel politique, économique et culturel », ajoute Smagulov. « Nazarbaïev a lancé de nombreux projets architecturaux pour rénover le pays et attirer des touristes », termine Gallien. Et sur ce dernier point, les efforts semblent payer. En 2006, 4,7 millions de touristes s’étaient rendus au Kazakhstan. Ils étaient 600 000 de plus un an plus tard, justement l’année de l’arrivée d’Astana dans le cyclisme. Le chiffre a depuis bondi à 8,5 millions en 2019. S’il est difficile d’établir la corrélation avec certitude, la république d’Asie centrale a pleinement profité de l’exposition médiatique offerte par le cyclisme. Et pas que. En 2020, l’office du tourisme kazakhstanais promouvait son pays avec le slogan « very nice », tout droit sorti de… Borat. Le Kazakhstan est décidément un pays pragmatique.
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